Le Goupil

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Le bulletin irremplaçable
 de


Michel Goupil Communication




N°32 - août 2002




Editorial


Le mois d'août, moi pas  ;-)



C'EST DU VÉCU

Quand je serai président…


Pendant pas mal d'années, j'ai partagé mes loisirs avec l'animateur vedette d'une grande station périphérique, qui devait par la suite, avec un inégal bonheur, exercer des activités artistiques diverses et variées. Il s'appelait, et s'appelle toujours, Patrick Topaloff.

Patrick et moi nous étions connus à l'école, alors que nous préparions l'entrée à l'EDC (perspective à laquelle, pour sa part, il a vite renoncé à donner suite).

Dans l'établissement que nous fréquentions, près du Trocadéro, nous passions une partie importante de notre temps à faire des tours pendables au seul et unique pion, une bonne pâte qui se donnait un mal fou pour jouer les méchants et qui, malgré notre mauvaise tête, nous aimait bien.

Guère plus âgé que nous, ce brave type, Francis, était tout le portait de son oncle. Car il avait en effet un oncle, illustrissime à l'époque, qui sévissait dans les hautes sphères politiques.

Et quand Francis s'épanchait auprès de nous, il nous confiait que les moments les plus pénibles de sa vie étaient les repas de famille chez son oncle.

Car ce dernier n'avait qu'une obsession : devenir président de la république. Et invariablement, sa conversation était lourdement ponctuée de phrases commençant par : "Quand je serai président…". Autour de lui, on avait beau soupirer ostensiblement, lever les yeux au ciel, rien n'y faisait. Sa détermination était inébranlable.

J'ignore ce qu'est devenu Francis. Mais je sais que son oncle, lui, n'est jamais devenu président de la république. Ou alors on l'aurait remarqué.

Non, je ne vous révélerai pas de qui il s'agit.

(Allez, parce que c'est vous… Deux initiales : E.P.)





Marilyn Who ?


J'ai eu pour voisine Marilyn Monroe.

C'était à Santa Monica, Californie. Je logeais dans un modeste pavillon au 1033, 11th street. Elle vivait à quelques encablures, dans une demeure un peu moins humble.

Un jour d'août, la une des journaux annonça la disparition de ma voisine. "Marilyn is dead".

Je me disais : ça doit faire un fameux choc dans le Landernau du cru, cette histoire.

Pour tâter un peu le pouls de l'opinion, j'allai faire le tour de mes connaissances.

Celles-ci étant essentiellement constituées de brillants jeunes gens de l'UCLA et des gentils surfeurs de Malibu Beach qui dépensaient quotidiennement des trésors de patience pour me montrer comment on pouvait tenir debout sur une planche de surf (patience qui, avouons-le honteusement, n'a jamais été couronnée de succès).

Et, invariablement, j'étais accueilli par un : "Tu as vu ? C'est fantastique, ce qu'ils ont fait !". Parce que le jour même de la mort de Marilyn, il s'était passé un événement considérable, qui devait marquer l'histoire de la conquête spatiale : la rencontre de Nicolaïev et Popovitch, deux cosmonautes partis séparément et que l'on avait fait se rejoindre à quelques milliers de kilomètres de la terre.

Tous mes copains étaient donc béats devant l'exploit soviétique. Ce que je n'aurais pas imaginé un seul instant, vu la haine mêlée de terreur qui régnait alors à l'égard des "rouges".

Sidéré, je disais : "Mais… tu sais que Marilyn est morte ?".

J'avais généralement droit en retour à un dédaigneux "Oh oui, j'ai vu ça". Mais il n'était pas rare que l'on me regarde d'un air étonné, avec cette innocente question : "Marilyn Who ?"





Cirque de puces, puces savantes !


Quand j'étais petit, ma grand-mère me racontait qu'autrefois, dans les campagnes, on voyait passer des cirques de puces. Avec des puces habillées, qui obéissaient aux ordres de leur dompteur en exécutant des sauts périlleux et autres exercices de ce style.

Evidemment, je rigolais bien. La pauvre vieille me prend pour une bille, me disais-je.

Quelques années après la disparition de ma grand-mère, mes parents et moi sommes allés faire un voyage au Danemark.

Qui dit Danemark dit Copenhague, et qui dit Copenhague dit Tivoli. Nous nous sommes donc promenés dans ce superbe parc d'attractions.

Au détour d'une allée, un bateleur nous interpelle en français : "Cirque de puces ! Puces savantes !". Il était devant une baraque foraine, surmontée en effet de ces mots en lettres de feu : "Cirque de Puces".

Nous sommes entrés. Et nous avons vu l'incroyable : des fauves miniatures évoluant sur une piste d'environ un mètre de diamètre : les puces, vêtues de plumes, devenaient équilibristes et funambules, tiraient des chariots, etc. De grosses loupes disposées autour de la piste permettaient aux quelques spectateurs présents de ne pas en perdre une miette. Le dompteur faisait sortir les bêtes d'une série de boîtes d'allumettes, qu'elles allaient ensuite réintégrer, après avoir eu leur récompense : un copieux repas, sous la forme de quelques gouttes de sang pompées sur la main de leur maître.

Naturellement, quand je raconte cette histoire, on me regarde de la même façon que je regardais ma grand-mère. D'autant plus que les cirques de puces ont quasiment disparu. Celui de Tivoli a fermé ses portes depuis longtemps. Il n'en reste plus aucune trace. Si ce n'est, m'a indiqué au téléphone le service de relations publiques du parc, un petit film soigneusement conservé aux archives de Copenhague.

Les puces ont été victimes de l'hygiène. En effet, seules les puces humaines peuvent être dressées, celles des animaux ne s'y prêtant pas. La douche, le savon, les désinfectants et autres fléaux modernes ont fait œuvre d'éradication.

Seule exception, à ma connaissance : le cirque Cardoso, dirigé par une dompteuse sud-américaine qui fait le tour du monde avec sa petite troupe. Aujourd'hui, la piste est filmée en vidéo, et on suit l'évolution des artistes sur de grands écrans de contrôle. Comme quand Johnny Hallyday se produit au Stade de France, si vous voulez.



Je me pendrai


Je n'ai vu qu'une fois ce monsieur, chez mes beaux-parents, dont c'était un ami. Un petit bonhomme sec de corps et doux d'allure.

Retraité, cet ancien receveur d'autobus n'avait guère fréquenté les écoles mais, ayant passé sa vie à lire, il était devenu, comme on dit, un fin lettré, qui vous citait Voltaire et Pline le Jeune avec autant de facilité que j'enfile mes chaussettes.

Agréable, intelligent, d'une culture universelle, il m'avait bien plu et nous avions eu plaisir à discuter ensemble.

Après son départ, ma belle-mère m'avait dit : "Tu vois, ce monsieur, il vit avec une corde au-dessus de son lit".

Il avait été marié pendant de longues années avec une femme qu'il adorait. Tombée gravement malade, elle avait vu la fin se précipiter sur elle au grand galop. Lui assistait à cette course, impuissant et désespéré.

"Je ne supporterai jamais son absence. Si elle s'en va, je me pendrai".

Elle était partie. Et il était resté. Tout seul, tout désespéré. Il avait attaché au-dessus de son lit une grosse corde de chanvre à laquelle il avait fait un nœud coulant.

Par la suite, je pensai à lui de temps en temps, impressionné par ce destin macabre volontairement choisi.

Un jour, on a appris qu'il s'était pendu. Avec la corde qui se balançait depuis deux ans au-dessus de son lit.

"Je ne comprends pas", a commenté ma belle-mère, "il avait toujours dit qu'il ne se pendrait pas en été parce qu'il avait peur que ça sente mauvais. Et il s'est pendu en juillet, quand il faisait si chaud…".




Marcel la honte


Ma fille Natacha, sa mère et moi, dînions dans un restaurant parisien. Natacha était haute comme trois pommes, mais déjà délurée. A la table voisine, seul : Marcel Amont.

Au bout d'un moment, ma femme donne un papier à Natacha : "Va donc demander au monsieur de te le signer".

La petite ne se fait pas prier. Elle se lève et, fièrement, va tendre son papier à Marcel Amont. Ravi de séduire les jeunes générations, l'autre s'exécute avec un large sourire.

Alors, Natacha revient et nous rend le papier, en nous lançant - à très haute et très intelligible voix - un candide : "C'est qui, le monsieur ?"

Notre voisin a simplement bougonné "Ah ben, ça fait plaisir !" avant de replonger le nez dans son assiette, vexé comme un pou.




Un matou très demandé


"Tiens, mon chat a encore reçu un coup de téléphone, hier soir. Ça n'arrête pas !"

Nous étions attablés au restaurant du British Museum. Chris étant Anglais, je ne m'étonnais guère qu'aucun muscle de son visage ne tressaille.

Cela n'avait pourtant rien d'une plaisanterie.

Chris était abonné à Times. Un jour, dans le cadre d'une vaste opération de prospection, il avait reçu une proposition d'abonnement à tarif très réduit. Mais l'offre étant réservée aux nouveaux abonnés, Chris pouvait pas en bénéficier. Alors il avait résilié son abonnement et avait répondu à la nouvelle offre en indiquant le nom de son chat. En tant que nouvel abonné, ce dernier bénéficiait donc d'un tarif préférentiel.

Dès lors, les coordonnées du chat avaient été intégrées au fichier des lecteurs de Times. Et chacun sait que la vente des fichiers de lecteurs constitue pour les entreprises de presse une juteuse source de revenus.

Voilà pourquoi des vendeurs de voitures ou d'encyclopédies se sont mis à téléphoner chez Chris en demandant à parler à Mr Pussy Smith.



Ton sur ton


Le grand salon du Racing, au cœur du bois de Boulogne.

Ce jour-là est un grand jour. Michel Leeb, qui s'est déjà fait un joli petit nom de comique, va faire ses débuts de chanteur.

Le spectacle commencera tard dans la soirée. Le public arrive et s'attable. Les serveurs commencent à passer avec les boissons. "Vin rouge, monsieur ? Vin blanc, madame ?"

Michel, sa femme et moi sommes installés à une table proche de la scène. Au fil des minutes, Michel, pétri de trac comme toujours, devient de plus en plus intenable. La tension monte. Toutes mes tentatives pour décontracter l'atmosphère tombent à plat. Son visage se crispe, ses mains se tordent, ses jambes ne tiennent pas en place.

La salle se remplit. Les serveurs ont bientôt du mal à se frayer un passage entre les tables, décidément trop rapprochées.

Un serveur portant une belle collection de verres pleins sur un grand plateau d'argent se glisse derrière Michel… et trébuche !

Bing, les verres !

Michel, sentant brusquement son dos arrosé, se dresse comme un ressort en hurlant.

Il ôte immédiatement la veste de son smoking blanc.

Nous évaluons l'étendue du désastre.

Eh bien… Eh bien rien. Juste quelques traces humides qui vont sécher rapidement.

Parce que vous savez quoi ? Le serveur portait sur son plateau des verres de vin rouge et des verres de vin blanc. Et, par un de ces hasards dont seul le hasard a le secret (tiens, c'est rigolo, ça, je vais le faire breveter) le serveur avait pu rétablir rapidement son équilibre, et tous les verres de vin rouge étaient resté sur le plateau. Seul le vin blanc était tombé. Ce qui, sur le smoking blanc, n'avait guère d'effet.

Si cette histoire est restée l'un de nos souvenirs communs les plus marquants, Michel n'a jamais voulu en faire un sketch : personne n'y aurait cru une seconde…




Corps médical & corps gras


"Attention au cholestérol", m'avait dit mon médecin.

Alors, bien sûr, j'ai fait attention, aidé en cela par un petit fascicule diffusé par le corps médical : pas d'œuf, pas de beurre, pas de porc, etc. Bref, à part les légumes bouillis et les fruits, pas grand chose.

Je m'achète, pour éviter le beurre, un succédané végétal de la marque Primevère. En soulevant le couvercle plastique, je découvre un opercule sur lequel sont inscrites quelques recommandations. Il y est indiqué, entre autres, que le fruits de mer s'accommodent très bien d'un régime anticholestérol. Indication strictement contraire à celles du document sus-mentionné.

Emmerdeur comme je suis (vous me connaissez), j'écris à Primevère pour demander des explications. Pas de réponse.

Teigneux comme je suis (vous me connaissez), je récidive, avec copie à l'Institut National de la Consommation (ce truc marche à tous les coups, je vous le recommande).

Immédiatement, je reçois un coup de téléphone d'un responsable de Primevère, visiblement pas très à l'aise. Il me raconte qu'il n'y est pour rien, que les infos lui ont été communiquées par l'Institut Pasteur de Lille, et que d'ailleurs il va demander à cet organisme de m'écrire.

Peu de temps après, je reçois en effet un courrier, avec un discours assez fumeux. En gros, on me disait que, d'après des études scientifiques, ce ne sont pas les fruits de mer qui sont néfastes, mais le beurre que l'on mange avec.

Faute de contre-arguments suffisamment étayés, j'ai abandonné le combat.

N'empêche que maintenant, vous pouvez vous amuser à soulever le couvercle d'une boîte de Primevère dans un supermarché : sur l'opercule, ils ont enlevé toute allusion aux fruits de mer !