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Le bulletin irremplaçable
 de


Michel Goupil Communication




                                                                                                                   N°44 - août 2003





Editorial


Dans un précédent numéro du Goupil, vous avez pu avoir un panorama de restaurants. (Mais si, souvenez-vous, un article rigolo dans lequel je vous disais "vous avez le restau ceci, le restau cela...").

Ce n'était que le hors-d'oeuvre. Voici le plat de résistance.

Préparez-vos papilles, et… bon appétit !


Michel Goupil









Carnet de croquis


Mes restaus (suite)

Vous avez l'usine, où vous faites la queue pour rentrer et où vous êtes précipité vers la sortie dès la mi-café. Le plus célèbre dans le genre, c'est Chartier. Mais celui-là, on ne peut décemment pas lui en vouloir, vu que ça fait un bon siècle qu'il rend des services inestimables à tous ceux qui veulent manger correctement à peu de frais.

Vous avez le restau qui vous coupe l'appétit. Je me retrouve un jour au Rendez-vous des chasseurs, dans la forêt de Rambouillet. Les chasseurs ne sont pas ma tasse de thé, mais là, il se fait tard et je n'ai guère le choix. Après être entré par un bar enfumé où deux ou trois soûlots sont affalés au zinc, je suis introduit dans l'immense salle par une grosse, vieille et claudicante dame. Elle allume la lumière - car je suis le premier client, et d'ailleurs je resterai le seul. Déjà, les trophées de chasse aux murs n'ont rien pour me séduire. Je m'assois à la table qui m'est indiquée. La dame me donne la carte… et s'assoit à côté de moi en attendant que je fasse mon choix. (Ses jambes douloureuses n'ont pas envie de faire un aller-retour supplémentaire). Je choisis vite - le menu insipide, mais néanmoins cher -, je mange sans plaisir et je pars en courant.

Vous avez le restau prétentieux. Où rien n'est déglacé autrement qu'au vinaigre de framboise et où la sauce ne peut être qu'à l'encre de sèche. Le pire dans le genre, c'était Goumard (je dis "c'était" parce que j'espère qu'il n'existe plus), près de la Madeleine. Un établissement dans lequel le contenu des assiettes est (était ?) inversement proportionnel au montant de l'addition.

Vous avez le restau d'habitués du midi (pas "du sud", mais "de la mi-journée"). En vous reportant aux premiers Goupil, vous en trouverez une flopée (La Tour Saint-Jacques, Le Rocher de Cancale, Le Pied de Fouet…). Là, il vaut mieux connaître les habitudes. Savoir que quand le patron vous propose des gâteaux dégueulasses, ça vient juste de son accent du Sud-Ouest : il vous propose simplement "des gâteaux, des glaces…". Savoir que vous avez intérêt à prendre l'excellent pâté basque plutôt que le très moyen hareng mariné. Savoir que l'addition se demande debout, au comptoir. Etc.

Vous avez le restau où les vins des moins chers de la carte ne sont systématiquement plus disponibles.

Vous avez le restau à gags. Là, il vaut mieux être averti. J'en connais un où une trompette retentit dans toute la salle lorsque vous tirez la chasse des toilettes. Un autre où le personnel pousse des cris dont l'intensité varie en fonction du pourboire que vous lui laissez.

Vous avez le restau crade. J'en ai connu un, à Saint-Ouen, dont le cuisinier Maurice transpirait à grosses gouttes dans les frites. Avec son double quintal, sa barbe de deux jours et ses bras pleins de boutons, il était pourtant bien sympa, mon copain Maurice. Je me souviens en outre de ce restau de Nantes (mais ne l'ai-je pas raconté dans ces colonnes ?) où, pendant que je mangeais mon entrecôte, je fus saisi à la gorge par une forte odeur de crotte de chien. Après une inspection discrète de mes chaussures et de mes proches voisins, je me suis aperçu que ce qui sentait la crotte de chien, c'était mon entrecôte ! Il y a aussi cette délicieuse auberge de campagne, près de Thoiry, où j'ai poliment demandé à la vieille patronne qu'elle me change les couverts visiblement mal lavés. Je m'attendais à un "Oh, excusez-moi, Monsieur, je vous les change tout de suite !". Mais la dame m'a regardé d'un air pincé, a levé les yeux au ciel et a laissé tomber : "Vous savez, Monsieur ? Il faudrait tout faire soi-même !", avant de se précipiter en cuisine pour enguirlander la gamine qui faisait la plonge.

Vous avez le restau où vous êtes en permanence encadré de trois pingouins, qui se précipitent dès que vous tendez la main vers le sel ou qui rajoutent immédiatement dans votre verre l'équivalent de la gorgée que vous venez d'y prélever.

Vous avez le restau où on se trompe régulièrement sur l'addition (j'ai les adresses). Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais l'erreur d'addition est un phénomène que l'on ne rencontre quasiment jamais dans un restaurant chinois. La première et dernière fois que ça m'est arrivé, c'était à San Francisco. Le patron était catastrophé. Son visage s'est décomposé. Il ne savait plus comment se faire pardonner. Il aurait été japonais, il se serait fait hara-kiri. Je suis ressorti de l'endroit avec une paire de superbes baguettes.

Vous avez le restau à spécialité : pizza, pot au feu, fromage, moules, etc. Là, vous avez intérêt à savoir où vous mettez les pieds. J'ai testé, près de Montparnasse, un établissement spécialisé dans un plat imprononçable - flammeküche ou à peu près. J'en ai commandé une, de flammetruc. C'était couvert d'oignon cuit. J'ai horreur de l'oignon cuit. Et j'ai passé plus de temps à râcler l'oignon cuit qu'à consommer ma flammechose.



Vous avez le fast-food. Là, au moins vous savez à quoi vous en tenir. On aime ou on n'aime pas, mais on est sûr que la qualité est toujours égale. Enfin presque sûr. Il y a quelques années, j'avais fait dans un Quick un repas détestable, arrosé d'une boisson du même métal. J'avais écrit à la direction de Quick une lettre commençant par ces mots : "Messieurs, Je n'ai jamais bu d'urine de chat, mais j'ai la très nette impression que cela ressemble à s'y méprendre au liquide que l'on m'a servi dans l'un de vos établissements alors que j'avais demandé une bière…". J'ai reçu une lettre d'excuses, accompagné d'un bon pour un repas gratuit.

(J'ouvre une parenthèse pour narrer une brève anecdote. Dans le quinzième, où j'habitais naguère, s'était ouvert un petit restaurant à l'enseigne du "Faste Fou". Un jour, je rencontre un copain, furieux : "J'avais donné rendez-vous à une copine hier soir, au Faste Fou. Elle n'est pas venue. Ce matin, elle me téléphone : elle m'avait attendu au fast-food !").

Vous avez le restau où vous vous sentez transparent. Dînant dans un italien chicos rue de la Convention (non, ce n'est pas Le Grand Venise !), j'avais déjà commandé - et consommé - l'apéro, le hors-d'œuvre, le plat et le vin. Arrive l'heure du dessert,. J'interpelle une serveuse pour lui demander une carafe d'eau. Aucun résultat. Le personnel, affairé, continue à courir dans tous les sens. Dix minutes plus tard, je hèle une autre serveuse : "Je peux avoir une carafe d'eau, s'il vous plaît ?". Même résultat. Troisième tentative, avec une autre serveuse qui, passant en coup de vent, me lance : "Y'en n'a plus !". Vous ne m'avez jamais vu en colère. "Appelez-moi le patron !", ai-je lancé. Quelques secondes plus tard, le gérant arrivait. Quelques secondes encore, et j'avais ma carafe d'eau. Non mais !

(J'ouvre à nouveau une parenthèse. Lorsque vous êtes un homme et que vous prenez votre repas en compagnie d'une dame, c'est la dame qui est face à la salle, alors que vous êtes face au mur. Et il arrive toujours un moment où la dame veut une carafe d'eau. Alors elle vous dit : "Tu peux demander une carafe d'eau ?". Car, pour une raison qui m'a toujours échappé, elle se sentirait déshonorée de la demander elle-même, la carafe d'eau. Alors, compte tenu du fait que vous êtes celui des deux qui n'a pas vue sur le personnel qui sert, vous passez votre temps à vous contorsionner pour tenter d'intercepter quelqu'un).

Vous avez le restau où les tables trop rapprochées. Il faut en tirer une table pour s'insérer à sa place. Si vous êtes coincé, mieux vaut prendre vos précautions avant, car pas question d'aller aux toilettes. Pas question non plus de discuter avec son vis-à-vis sans que les voisins ne profitent largement de la conversation. Vous voilà emprisonné jusqu'à la fin du repas.

Vous avez le restau dans lequel la machine à carte bleue est hors service du 1er janvier au 31 décembre.

Vous avez le "Routiers". Petites natures s'abstenir. C'est du rustique, ça tient au corps. La qualité est presque toujours au rendez-vous. L'ambiance aussi, même si parfois on la souhaiterait un peu plus discrète. Les "Routiers" de banlieue sont généralement meilleurs que les parisiens, et les provinciaux encore meilleurs que les banlieusards.

Vous avez le restau à fond sonore. Là, généralement, vous êtes obligé de vous fader RTL, ou Radio Nostalgie, ou une bande sonore parfaitement insipide. J'ai fréquenté pendant de longues années le restaurant d'un ami indonésien et, pendant d'aussi longues années, j'ai dîné au rythme de trois ou quatre musiques indonésiennes, toujours les mêmes. On a beau aimer l'exotisme, je vous jure qu'à force, ça lasse.

Vous avez le restau auto-proclamé "gastronomique". Sachez que cette dénomination ne correspond à aucune appellation officielle. On m'avait chaudement recommandé le "buffet gastronomique" de la gare de Dreux. J'ai été pris de hauts-le-cœur dès la première bouchée d'escargot.

Vous avez le restau familial. Evidemment, vous ne vous en rendez compte qu'une fois installé. Alors que vous étudiez tranquillement le menu, arrive le couple nigaud précédé de la poussette au bébé braillard et suivi de deux monstres gesticulants, avec, pour fermer la marche, la mémé sourde.

Vous avez le restau à terrasse. "A l'intérieur ou en terrasse ?", vous demande la serveuse. La personne qui vous accompagne bat des mains : "Oh oui ! En terrasse ! En terrasse !". Et vous passez le repas, au pire à respirer les gaz d'échappement, au mieux à courir après votre serviette emportée par le vent et à repêcher les moucherons dans votre verre.

Vous avez le restau où, pour personnaliser le service, on imprime le nom du serveur sur l'addition. Dans l'un de ces établissements, au moment de payer, je n'ai pas pu m'empêcher de dire au charmant jeune homme : "Ah, vous vous appelez Martine ? C'est joli, comme prénom". Et lui, rougissant, de m'expliquer qu'il avait pris la relève d'une collègue et qu'on n'avait pas changé la programmation des tickets. Je m'en étais un peu douté, évidemment, mais il y a des plaisirs auxquels je ne peux pas résister.

Vous avez la cant… oh, pardon !… le restaurant d'entreprise. Si c'est le restaurant de l'entreprise dans laquelle vous travaillez, vous vous y rendez en discutant avec vos collègues, vous déjeunez en discutant avec vos collègues et vous en ressortez en discutant avec vos collègues. Mais si vous avez été invité par quelqu'un dans un endroit de ce genre, vous êtes complètement perdu. Vous n'osez pas lâcher votre hôte d'une semelle ni le quitter une seconde du regard. C'est lui qui va vous éviter d'oublier les couverts et le sachet de moutarde, qui va vous donner le jeton pour le café, et qui va repérer les deux places dans un petit coin peinard, à côté du chef de produit rigolard et de l'assistante qui ne prend qu'un steak grillé et un yaourt.

Vous avez le restau dans lequel vous vous laissez piéger par vos habitudes. La première fois, vous commandez un œuf mayo. La deuxième fois, vous commandez un œuf mayo. La troisième fois, on vous sert d'emblée un œuf mayo. Par la suite, même si vous avez envie d'autre chose que d'un œuf mayo, vous n'osez pas contrarier. Pour changer de hors-d'œuvre, vous êtes obligé de changer de restau.

Vous avez le restau auquel vous étiez habitué, mais où tout est complètement changé. Je suis retourné il y a quelques semaines au Vallon de Cherisy, près de Dreux. Ils avaient multiplié le personnel par deux et l'addition par trois. (Encore une parenthèse. En me relisant, je m'aperçois que j'avais initialement écrit : "Ils avaient doublé le personnel par deux". Chapeau, l'artiste !).

Vous avez le restau "à volonté". En général, c'est le buffet de hors d'œuvre qui est à volonté. Parfois les frites. J'ai connu, à volonté : le vin, les huîtres, la mousse au chocolat, et même la viande. Le plus étonnant pour moi, ç'a été l'apéro. Une pratique courante, m'a-t-on dit, avant guerre, mais qui n'a  pas perduré. Quelle n'a pas été ma surprise, dans ce restaurant de la vallée de Chevreuse où j'avais demandé un pur malt, en voyant le serveur poser sur la table la bouteille de Glennfiddish. Je vous assure que dans ce cas-là, vous avez l'air bête. Vous n'allez tout de même pas vous enfiler trois scotches ! Alors, au lieu d'une dose entière, vous vous servez deux fois une demi-dose. Rien que pour le principe.

Vous avez le restau où, sous le prétexte que vous êtes aimable, le patron se croit obligé de vous raconter sa vie. Je fréquentais un établissement de la forêt de Rambouillet, dont la patronne avait pris la désagréable habitude de me faire des confidences, sûrement très intéressantes pour elle mais sans intérêt pour moi. Un jour, en arrivant, j'ai la malencontreuse idée de lui demander : "Alors, comment ça va ?". "Eh bien je viens de passer un mois à l'hôpital. Si vous saviez ce qu'ils m'ont retiré !". Et elle m'a raconté dans le détail son opération des boyaux. Dès le hors-d'œuvre, je n'avais déjà plus faim. Heureusement qu'il n'y avait pas des tripes en plat du jour !



Vous avez le restau où vous êtes tellement copain avec le maître d'hôtel qu'il transgresse les règles les plus élémentaires de sa fonction.
Lorsqu'à La Taverne Alsacienne, rue de Vaugirard, je commandais un tourteau, le maître d'hôtel refusait parfois d'inscrire ma commande sur son carnet, en me glissant discrètement : "Il est pas frais".

En parlant de maître d'hôtel… Vous avez le restau où, au moment où vous passez votre commande au maître d'hôtel, celui-ci vous fait : "J'ai un truc-machin-chose qui n'est pas à la carte, mais que je vous recommande". Le truc-machin-chose vous fait saliver, mais vous n'osez évidemment pas demander le prix, surtout si vous êtes accompagné. Alors, généralement, vous le prenez. Et, généralement, c'est très bon. Mais généralement, l'addition… je ne vous raconte pas !

Tiens, une chose me revient. J'ai parlé l'autre fois du restau dont le personnel ne connaît pas les plats. J'en ai connu un à Bruxelles, près de la grand place. Devant l'entrée, je suis interpellé par une grande pancarte énumérant les différents plats de moules proposés : "moules marinières, moules parquées…", avec à la fin, en gros caractères :"Et nos délicieuses moule maison, à déguster absolument !". Le serveur qui m'accueille est, comme beaucoup de serveurs du quartier, un Pakistanais au teint très foncé s'exprimant avec un accent belge prononcé. J'entre, m'installe et demande évidemment : "Qu'est-ce que c'est, vos moules maison ?". Il me regarde, limite dédaigneux, et me fait : "Mais Monsieur, ce sont tout simplement des moules !". Je fais : "Oui, je comprends bien, mais qu'est-ce qu'elles ont par rapport aux autres ?". Il blêmit. Ou plutôt : s'il avait pu, le pauvre, il aurait blêmi. Penaud, il lâche à mi-voix :  "Je dois demander au chef". Bientôt, il revient, triomphant : "Ce sont des moules avec de la crème !"


Un de ces jours, je vous raconterai quelques anecdotes de restaurants. Pour l'instant, voici, comme dit Bruno Salomone, la cerise sur le MacDo : une sélection de mes restaurants parisiens préférés.

Yves Quintard - 99 rue Blomet
Le Père Claude - 51 avenue de La Motte Picquet
Le Crocodile - rue Godot de Mauroy
La Cerisaie - 78 boulevard Edgar Quinet
Le Pot au Feu - 59 boulevard Pasteur
Mytaphap - 43 rue de Provence
Kok Ping - 4 rue de Balzac
La Vigne Saint-Laurent - 2 rue Saint-Laurent
Le petit Bistro - 2 et 4 rue du Sabot
Beato - 8 rue Malar